Prévention du suicide : quelle place pour le lien social ?
S02:E19

Prévention du suicide : quelle place pour le lien social ?

Episode description

En France, depuis la levée des mesures de confinement, le taux d’hospitalisation pour tentative de suicide est en augmentation. Quelle est l’état des lieux du suicide en 2024 ? Comment faire pour briser les tabous et prévenir le suicide ? Quels sont les acteurs et actrices de la prévention ? Dans le cadre de la Journée nationale de prévention du suicide du 9 février 2024, on reçoit les membres de l’Union nationale pour la prévention du suicide pour évoquer ensemble la place du lien social dans la prévention des risques suicidaires.

Invités :

  • Dr. Matthieu Lustman, médecin et sociologue

  • Francoise Facy, vice-présidente de l’UNPS

« C’est le moment », émission hebdomadaire d’actualité diffusée sur Aligre FM, Radio Campus Paris et Vivre FM. Elle est portée par le média collaboratif Le Moment.

Une émission présentée par Morgann Gicquel et réalisée par Emmanuel de Miscault.

Moyens technique pour le direct : Libre à toi

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(Transcribed by TurboScribe.ai - Go Unlimited to remove this watermark) Bonsoir à toutes et tous, bienvenue dans C'est le Moment, l'émission hebdomadaire

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d'actualité du Média coopératif et citoyen Le Moment.

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Je suis Danae Moyano-Rodriguez et dans l'absence de Benjamin, ce soir j'ai le plaisir d'animer

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cette émission.

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Nous sommes ensemble de 18h à 19h en direct sur nos radios partenaires Aligre FM et Radio

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Campus Paris.

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Ce week-end, l'émission sera rediffusée sur Vivre FM, mais vous pourrez aussi la retrouver

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en replay sur notre site lemoment.org.

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Cette semaine, à l'occasion de la Journée nationale de prévention du suicide, nous avons

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beaucoup entendu parler du suicide dans les médias.

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Pourtant, il s'agit d'un sujet qui est encore tabou, les chiffres du suicide sont en hausse,

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notamment chez les jeunes entre 18 et 24 ans.

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C'est un sujet difficile, donc qui nous amène ce soir, même parfois douloureux, mais

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dont il faut absolument en parler pour mieux le prévenir.

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Afin de répondre à cette situation alarmante, l'Union nationale pour la prévention du

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suicide, l'UNPS, a lancé un appel pour réévaluer la place du lien social dans le phénomène

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suicidaire.

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Pour en débattre et aller plus loin dans les réflexions, et surtout pour essayer de

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faire avancer les choses, le vendredi 9 février, l'UNPS organise un événement de haut niveau

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au ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités.

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Quel est l'état des lieux du suicide en France ? Quelles ont été les conséquences

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de la pandémie sur la santé mentale des Françaises et des Français ? Comment prévenir ? Autant

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des questions auxquelles nous tenterons de répondre ce soir.

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C'est le moment de parler de la prévention du suicide, donc restez avec nous, on est ensemble

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jusqu'à 19h.

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Et pour en parler avec nous, nous avons l'honneur d'accueillir des membres de l'Union nationale

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de la prévention du suicide, l'UNPS.

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On va l'appeler comme ça pour que ce soit un peu plus court.

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L'UNPS, c'est une structure qui est aussi installée à Sésure avec nous, nous sommes

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donc voisins.

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J'ai le plaisir d'accueillir avec moi ce soir Françoise Fassi qui est une ancienne

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directrice de recherche à l'INSERM en épidémiologie et santé mentale, vice-présidente aussi

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de l'UNPS.

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Bonsoir Françoise, comment tu vas ?

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Bonsoir Danae, très bien en tant que voisine du programme Sésure et puis surtout en tant

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que porte-parole de l'Union nationale pour la prévention du suicide qui depuis 28 ans

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oeuvre pour à la fois mesurer, observer les phénomènes, essayer de les comprendre, les

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partager et de mettre en place un certain nombre d'actions de prévention en partenariat

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aussi bien avec des structures de communication comme au plateau urbain et le programme Sésure

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que des acteurs de la santé, des professionnels comme Mathieu qui est là avec nous, comme

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notre président Marc Fiatre qui est psychiatre à Tours.

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Voilà tu annonces déjà notre deuxième invité donc le docteur Mathieu Luttmann, médecin

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et sociologue, président du comité éthique et scientifique de l'UNPS.

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Mathieu comment ça va ?

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Ça va très bien, bonsoir Danae, bonsoir aux gens qui nous écoutent et je suis aussi

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content d'être ici parce que l'UNPS a été mis en place pour lever le tabou, comme

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tu l'as dit c'est compliqué et qu'il est important de pouvoir partager des réflexions.

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La prévention du suicide ce n'est pas uniquement une affaire d'experts, c'est une affaire

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de compréhension, de discussion avec tous les acteurs, la prévention est avant tout

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quelque chose de citoyen aussi.

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Oui complètement, merci à tous les deux d'être là avec moi, c'est vrai que c'est

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un sujet qui est difficile, ce n'est jamais facile de parler de suicide je pense et même

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de santé mentale.

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Je trouve qu'on dit que le suicide est une question taboue mais même la santé mentale

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en tant qu'enjeu de santé de manière générale c'est encore quelque chose dont on parle

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assez peu je trouve.

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Je ne sais pas si c'est partagé mais au moins c'est mon avis personnel.

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Cette semaine on a entendu parler de quelques chiffres du suicide et surtout Santé publique

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en France indique qu'il y a une forme de détérioration un peu générale de la santé

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mentale.

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Pour commencer, est-ce que vous pourriez nous dire en quoi ça consiste cette détérioration

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de la santé mentale ?

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En France, nous disposons d'un certain nombre de recueils statistiques, d'observatoires,

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de baromètres qui nous permettent évidemment de suivre l'évolution non seulement des

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opinions, on en a beaucoup plus l'habitude en France de suivre l'état des Français,

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leurs opinions, mais également tout un dispositif d'enquête et d'études régulières qui

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vont permettre de mesurer et notamment c'est Santé publique France, mais nous avons également

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la Fondation de France avec le CREDOC et le ministère et l'Observatoire national du

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suicide.

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Donc des sources régulières de données qui vont permettre et puis bien sûr pour

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la mortalité, l'INSERM qui va suivre les décès annuels pour toutes les causes médicales

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de décès, mais également pour les causes violentes et bien sûr homicides, morts violentes

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sans détermination vraiment quant à l'intention et suicides avérés.

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Ces enquêtes vont nous permettre de mesurer, je vais vous citer simplement fin 2022 déjà,

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Santé publique France montrait que 17% des Français montrent des signes d'état dépressif,

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donc sept points de plus par rapport à une période maintenant hors épidémie.

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Donc on a bien vu que toute la période Covid, crise sanitaire inédite, comme on l'a déjà

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répété, avait largement détérioré un certain nombre d'états de santé mentale,

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de la psychologie je dirais presque ordinaire jusqu'à des états beaucoup plus diagnostiqués

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par rapport à une psychopathologie, et bien un certain nombre d'indicateurs qui sont

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progressivement devenus alarmants.

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Et là aujourd'hui, autant on va pouvoir enregistrer une baisse des suicides depuis

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20 ans, puisqu'on est quand même largement descendu en dessous des 10 000 décès par

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an.

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C'était à l'époque le ministre Kouchner qui avait lancé ce message, il faut absolument

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que la prévention des suicides fasse baisser ce chiffre de mortalité.

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Mais nous avons aujourd'hui un certain nombre d'indicateurs qui, au-delà de cette baisse

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régulière qui est enregistrée depuis une vingtaine d'années, montrent que la période

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Covid a laissé beaucoup de traces et que aujourd'hui, et bien face à un certain nombre d'indicateurs

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alarmants, nous devons considérer des groupes de la population et enregistrer non seulement

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les constats, mais organiser des actions.

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Et justement, tu parlais à l'instant de la pandémie et notamment des mesures qui

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ont été prises pour lutter contre la propagation du Covid-19.

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Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur le type d'impact que cela a pu avoir

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sur la santé mentale des gens ?

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Eh bien, je vais prendre les résultats de la Fondation de France sur solitude et isolement.

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L'isolement est mesuré de façon assez objective avec on vit tout seul ou on habite dans une

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région ou je dirais une zone géographique qui est mal reliée en termes de mobilité,

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en termes d'accessibilité même à des services de soins.

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Donc, cet isolement aujourd'hui va concerner de façon assez objective dans les 14-15% de

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la population, mais avec une grande variabilité suivant les régions.

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Dans l'Allier, dans le Cantal, ce n'est pas tout à fait la même chose que dans le

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département 91 ou 92 en Ile-de-France.

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Par contre, la solitude, c'est un sentiment qui est ressenti.

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Et cette solitude aujourd'hui, pratiquement un Français sur cinq dit souffrir de solitude.

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Et la solitude, on sait très bien, mais je pense que Mathieu en parlera aussi tout à

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l'heure, la solitude, elle peut être ressentie alors qu'on est dans des réseaux sociaux,

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alors qu'on a des outils numériques qui nous inondent.

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Et c'est TikTok et c'est...

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Je ne vais pas en citer quelques-uns.

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Tout le monde voit bien de quoi je veux parler.

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Et on peut être relié, on peut avoir des amis à l'autre bout du monde, mais des amis

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qui ne vont pas faire que le ressenti de la solitude, eh bien, soit évacué.

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Cette solitude, je crois que ce n'est pas seulement l'isolement.

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Il y a l'isolement des personnes âgées qui est objectif, qui est concret.

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Il y a l'isolement d'étudiants qui vont se retrouver coupés de leur famille.

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Mais le ressenti, le sentiment de solitude.

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On peut l'avoir même dans la foule.

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Justement, Mathieu, est-ce que toi, de ta double perspective en tant que médecin et

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sociologue, est-ce que tu peux nous dire de la réflexion qu'est en train d'amener

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Françoise autour de la solitude et de l'isolement ?

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Je pourrais remondir sur la phrase qu'a prononcée Françoise.

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On sait tous qu'on peut être seul dans une foule et on parle beaucoup de liens

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sociaux. Et ce qu'on essaie un peu de pousser du côté de la sociologie, c'est des

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interactions sociales.

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C'est-à-dire qu'on peut avoir ce sentiment de solitude, mais

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effectivement, être entouré et sentir seul parce que quelque part, il y a des pressions

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sociales, parce qu'on a le sentiment de ne pas avoir compris.

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La difficulté, finalement, c'est d'arriver à exprimer profondément ce qu'on a au fond

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de nous-mêmes. C'est d'ailleurs pas par hasard que le fondement, l'apprentissage du

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suicide, ce sont les associations qui font de l'écoute.

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Et apprendre à parler, c'est compliqué.

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En sociologie, on a un sociologue qui s'appelle Goffman, qui a étudié les rites

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d'interaction. Comment on se comporte au quotidien ?

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Et souvent, on parle de façade.

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Et la difficulté, c'est qu'on va vouloir garder la façade.

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Et une autre difficulté qu'on n'a pas souvent conscience, c'est qu'il faut un peu

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accepter de demander de l'aide.

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Et quand vous donnez la parole, c'est ce que j'aime bien à la sociologie, c'est qu'on donne

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la parole à l'autre. Il y a les chiffres qui donnent une vision un peu globale.

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La sociologie que j'aime bien, c'est la sociologie un peu micro.

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On prend notre micro et on va donner la parole aux gens.

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C'est ça qui est important.

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Et il y a une étude qui monte, qui a été éditée dans une revue médicale qui s'appelle

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Exercez, qui étudie la simple difficulté que j'ai à aller consulter un médecin

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généraliste et aussi à accepter que le médecin généraliste conseille une

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psychothérapie. Et c'est très, très compliqué.

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Accepter. Il y a un intervenant qu'on en parlera, qui va présenter la chose.

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Tout son travail, c'est d'accepter l'aide.

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On voit bien que là, on rentre dans un jeu beaucoup plus complexe que les simples

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indicateurs. Un individu ne se résume pas à son âge, son sexe, le fait d'appartenir

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à une famille, son statut socio-professionnel.

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Il a toute une histoire extrêmement complexe.

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L'idée, c'est d'arriver à comprendre les récits de vie, ce que vivent profondément

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les personnes. Et là, c'est beaucoup plus simple de faire ce genre de prévention.

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Beaucoup plus complexe, je veux dire.

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Justement, ce que tu es en train de nous dire, ça me fait penser au cas d'un ami

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qui, justement, a beaucoup de difficultés avec cette notion d'accepter l'aide.

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Il arrive à en parler.

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Il est à un certain niveau conscient du fait qu'il a besoin d'un certain niveau

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d'aide, mais il ne l'accepte pas.

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Comment est-ce qu'on peut aider les gens, justement, à rentrer dans cette phase

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d'acceptation qui, par rapport à ce que tu es en train de dire, me semble assez

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essentielle, en fait ?

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Un des paradoxes, c'est un sociologue que j'aime bien, qui s'appelle Alain

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Rinkberg, qui a écrit un livre qui s'appelle La fatigue d'être soi, et qui

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montre que l'un des grands métas, une des grandes injonctions de la société, c'est

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d'être soi-même, d'être autonome.

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D'où l'esprit que la dépression et qui sont en tant que maladie depuis 1945.

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C'est extrêmement compliqué, une société qui valorise l'autonomie et qui

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stigmatise la dépendance, donc la demande d'aide, d'arriver.

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Donc, c'était une réflexion générale qu'on pourrait avoir au niveau sociétal,

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et c'est un peu la sorte de sociologie, pour réfléchir à qu'est-ce que c'est

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qu'être autonome, à quel moment donné j'ai le droit d'être fatigué.

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Et là, c'est tout le travail de travail des généralistes, d'être

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profondément à l'écoute. Et je dis souvent en tant que médecin, quand quelqu'un

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ne va pas bien, moi je pose mon stylo.

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Je sais que ma consultation ne va pas durer un quart d'heure, mais elle va durer

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trois quarts d'heure. Donc, c'est à la fois tout.

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Il y a aussi un travail de sensibilisation qui est fait par ce qu'on appelle les

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sentinelles. Donc, c'est d'apprendre à écouter, d'apprendre à sortir, aller

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en dehors des cas habituels, à générer en tant que soignant, mais pas

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non plus soignant, en tant que citoyen, à sortir de nos routines, à sortir

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des standards, à écouter, à essayer de comprendre ce qu'il y a derrière la

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façade. Et les gens disent rarement je veux me suicider.

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C'est un mot qu'on n'entend pas. Les gens disent j'en ai ras le bol, je suis

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fatigué, j'ai envie de partir. Et quand on entend ça, partir où?

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Qu'est-ce que ça veut dire? Et à ce moment là, on revient dans l'interaction,

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dans l'accompagnement qu'on peut avoir tout un chacun.

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Et puis, une fois qu'on a ça en tant que citoyen, surtout on ne reste pas seul

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avec. On va discuter avec d'autres personnes.

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On ne porte pas seul sur les épaules. C'est finalement une histoire de réseau.

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C'est une histoire de groupe, c'est une histoire d'équipe.

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C'est un début de réponse.

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Oui, c'est super intéressant de commencer

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à voir aussi la ramification du phénomène, la manière

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dont ça va aller toucher non seulement les personnes qui sont

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impactées par cette souffrance, mais aussi les personnes

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au final qui sont dans leur entourage, puisque parfois, comme dans le cas

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de mon ami, par exemple, moi, je me retrouve un peu dépourvue de solutions,

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de possibilités aussi pour essayer de

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l'aider ou de l'orienter, en moins vers les personnes qui pourraient l'aider.

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Juste pour revenir un petit peu sur les populations qui sont touchées

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par cette situation.

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Est-ce qu'il y a des populations qui sont actuellement, tu évoquais les jeunes,

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Françoise, est-ce qu'il y a d'autres populations qui sont particulièrement

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touchées par cette hausse de

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questions de suicides ?

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Alors, dans les dernières données, ce qu'on a eu,

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surtout après le Covid, on a montré les jeunes femmes

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et les femmes d'âge moyen.

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Et là, ça a vraiment fait écho avec

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ce qui était déjà, je dirais largement,

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médiatisé autour de la charge mentale

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des mères de famille et de ces jeunes mères.

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Et là, on a bien vu que l'impact Covid

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avait finalement dépassé la stricte période,

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c'est-à-dire que bien souvent, le retrait des familles, etc.,

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avait entraîné une charge domestique

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et du coup, une charge mentale essentiellement sur les mères de famille

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et que toutes ces femmes pouvaient se retrouver

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dans des situations très difficiles et de souffrance, évidemment,

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psychique pour faire face à ce surplus de charges,

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ce surplus de préoccupations et par rapport à elles-mêmes

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et bien souvent par rapport aux enfants.

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Et ça a corroboré d'ailleurs les chiffres en hausse des violences

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intrafamiliales.

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Et il ne faut pas oublier quand même, même si les indicateurs actuels

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montrent bien, les plus jeunes qu'avant, 11-17,

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moi, je me souviens, à l'INSERM, on hésitait toujours à travailler

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avant 15 ans en étant, bon, un peu,

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je dirais prudent par rapport à l'interprétation d'un certain nombre

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de gestes sur leur intention.

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Mais maintenant, je crois qu'il ne faudrait surtout pas oublier

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que le taux de décès le plus important, c'est quand même

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chez les personnes âgées et notamment chez les hommes.

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Donc, vous voyez, autant j'ai insisté sur les jeunes adolescents,

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on pourrait dire aujourd'hui, c'est les pré-adolescents sur lesquels

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on pourrait avoir un œil vraiment très, très attentif.

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Avec en plus, une mobilisation collective des différents acteurs

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dans le domaine de la santé et de l'éducation.

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Parce qu'à ces âges-là, on sait bien qu'il y a le médecin

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et encore, il y a encore des médecins généralistes

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et ce qu'on appelait les médecins de famille, ils existent encore.

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Il y a un certain nombre de pédiatres, etc.

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Et puis, il y a cette période de l'adolescence dont on sait très bien

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qu'elle est compliquée.

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On parle bien de crise adolescente

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et ce n'est pas pour rien qu'on prononce ce mot crise.

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Mais il ne faut pas oublier que dans les phénomènes suicidaires,

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on a beaucoup parlé des agriculteurs.

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Donc, on a les âges moyens de la vie suivant les secteurs d'activité

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qui sont là aussi un pic, je dirais,

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un pic en termes de charge sociale.

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Parce qu'il y a la pression aux âges moyens de la vie.

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On a deux pressions quand on fait un peu de démographie.

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Eh bien, on sait que les âges moyens de la vie,

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ce sont les supports pour une production de travail.

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Ce sont aussi les supports pour les familles,

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parce que bien souvent, les âges moyens doivent être concernés

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par l'éducation des plus jeunes et par les soutiens aux plus âgés.

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Et puis, j'allais dire pour terminer, et je te laisse la parole, Danae,

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on a nos aînés et on a vu combien au moment du Covid,

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on a parlé des EHPAD, on a parlé aussi de toutes ces personnes âgées

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qui se retrouvent isolées,

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mais pas seulement dans un ressenti de solitude,

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mais isolées vraiment.

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Et là, isolées parce qu'elles sont en EHPAD, mais isolées aussi

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parce qu'elles sont dans des zones géographiques tellement appauvries

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en termes de moyens de communication, de moyens de déplacement.

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Et on a ces différentes catégories d'âges sur lesquelles

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on ne doit pas baisser le niveau d'attention et de vigilance.

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Justement, c'est là où je voulais en venir,

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peut-être pour faire un point sur la question de la prévention.

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J'imagine que ces différentes populations que tu es en train d'évoquer,

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Françoise, mais aussi par rapport à ce que tu disais, Mathieu,

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j'imagine qu'il y a différents acteurs de la prévention

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qui se spécifient dans différents types de publics.

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Comment est-ce que ça fonctionne ?

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Je voudrais vraiment remonter sur ce que disait Françoise.

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On a un petit biais quand on fait des préventions.

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On dit souvent qu'il y a un peu des idées reçues sur le suicide

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et c'est vrai qu'on dit suicide égale jeûne.

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On a tendance vraiment, vraiment à oublier que les gros bataillons,

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c'est les âges moyens.

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Je voudrais revenir là-dessus, c'est les 30-60.

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J'insiste sur l'idée, c'est ceux qui portent tout.

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Comme disait Françoise, ils portent les cadets et les aînés.

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On a tendance vraiment à les oublier.

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Quand on développe la prévention, on fait une démarche précise sur les jeunes.

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Sur les aînés, ça commence de plus en plus.

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Mais on découpe un petit peu en travailleurs, en agriculteurs.

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Mais on n'a pas pensé, je pense, à une prévention générationnelle

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entre les 30 et 60 ans.

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Et je pense que si on devait vraiment développer les choses dans l'avenir,

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c'est vers les 30-60 ans.

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C'est vraiment le point le plus important que je voudrais souligner.

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Parce que ça, on a tendance à les oublier.

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Après, il y a effectivement, au sein des écoles, il y a les infirmières.

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On développe toute une série de psychologues.

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Effectivement, il y a même, je pense, depuis un certain temps,

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chez les étudiants, parce qu'on est chez les étudiants,

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l'accès à 8 ou 10 consultations de psychologues gratuites.

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Donc ça, c'est déjà un point important.

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On développe effectivement, pour les personnes âgées, à travers,

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heureusement, il y a eu l'événement de la canicule.

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Depuis il y a quelques années, on a pu développer des gériatres.

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Et là aussi, il y a tout un secteur qui se développe.

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Et par contre, là où j'aimerais vraiment aller un peu plus loin,

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c'est tout ce qui peut se faire sur les...

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C'est une grosse bataille entre 30 et 60 ans.

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Et là, on n'a pas encore de prévention spécifique.

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Et on fera un focus sur la souffrance au travail.

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Et là, c'est vraiment très, très, très important.

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Il y a un autre isolement dont j'aimerais parler, que Françoise n'a pas parlé,

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et j'en parle parce que je suis médecin généraliste,

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c'est l'isolement aussi des soignants et l'isolement aussi des acteurs sociaux.

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C'est pour ça qu'on a développé des formations sentinelles,

21:41

parce qu'à la limite, en tant que soignant, moi, je suis un peu confronté.

21:45

Mais comme la demande peut être adressée à n'importe qui.

21:48

Et on pouvait travailler, je ne sais pas, dans une caisserie sociale

21:51

et pouvoir adresser cette demande-là.

21:54

Et les gens sont un peu dépourvus.

21:55

Donc, ne pas oublier... C'est un peu d'ailleurs ce que tu disais tout à l'heure.

21:58

Toi, on te pose la question et tu ne sais pas ce qu'il fait.

22:00

Et donc, ça se développe petit à petit.

22:02

Il faut quand même le signaler dans les tas des lieux.

22:04

Il y a quand même des nouveaux dispositifs qui se mettent en place.

22:06

Donc, il y a le 31-14, on peut appeler ça.

22:08

C'est tout à fait nouveau.

22:09

C'est important, c'est en place depuis un ou deux ans.

22:11

Il y a ce qu'on appelle aussi quelque chose de tout à fait nouveau, qui est vigilance.

22:14

Parce qu'avant, tu faisais une tentative de suicide,

22:16

tu arrivais aux urgences et puis tu partais et puis il ne se passait rien.

22:19

Donc maintenant, il y a un dispositif de réappel.

22:21

Des choses comme ça.

22:23

Mais par contre, et là, c'est un paradoxe.

22:25

On développe des nouveaux dispositifs pour mieux accompagner la prise en charge du suicide,

22:29

pour éviter le passage à l'acte.

22:30

Mais en même temps, il faut quand même qu'on en parle.

22:32

Une sinistrose de la psychiatrie.

22:33

Honnêtement, quand j'appelle pour adresser en urgence,

22:37

souvent le premier réflexe que nous faisons des psychiatres,

22:39

c'est qu'on est épuisé, on est isolé, on n'a pas de rendez-vous.

22:43

Et donc, à la fois, on développe une manière de repérer,

22:45

mais ça devient compliqué d'orienter.

22:47

Donc, il faut vraiment penser à la fonction du suicide,

22:49

pas uniquement qu'on évite le passage à l'acte,

22:51

mais quelque chose d'un peu global.

22:52

Comme disait un petit peu Marshall Moore,

22:53

un fait social total, il faut la penser dans sa globalité

22:56

et pas uniquement sur un point très précis.

22:59

Quand je suis médecin généraliste, ce qui m'intéresse,

23:01

c'est pas uniquement d'éviter le passage à l'acte,

23:03

c'est de savoir ce qui se passe après éventuellement.

23:05

C'est toute cette approche globale.

23:07

Mais oui, bien sûr.

23:08

Et je pense qu'un point important que je soulève,

23:10

un peu par rapport à ce que vous êtes en train de dire tous les deux,

23:13

c'est au final, c'est les personnes qui prennent soin,

23:15

c'est celles qui s'occupent des autres.

23:17

Tu parlais, Françoise, des femmes, des mères notamment.

23:22

Toi, tu parles des soignants, Mathieu.

23:24

Je pense que c'est intéressant aussi de s'intéresser à ces personnes

23:28

qui sont là en charge de prendre soin des autres.

23:30

Et puis, c'est vrai que souvent,

23:31

elles sont un petit peu oubliées quand on parle de ces choses-là.

23:35

Donc, avant de poursuivre,

23:36

on commence à rentrer déjà dans le vif du sujet de la prévention.

23:39

Avant de poursuivre, on va faire une petite pause.

23:41

Donc, ce soir, je vais vous proposer moi-même une programmation musicale

23:45

à la fois féministe, hispanophobe,

23:47

hyphénophone, pardon, et surtout joyeuse.

23:50

Ce sont les chansons que j'aime écouter

23:52

quand j'ai besoin d'un petit coup de boost moi-même.

23:55

Et donc, pour commencer,

23:56

El amor de mi vida de la rappeuse guatemalteque Rebeca Lane.

24:32

Comme si tu écoutais mon esprit

24:34

Après cette expérience

24:35

Je n'accepterai pas un amour avec des faiblesses

24:39

L'amour de ma vie complète

24:41

La moitié que j'ai ressentie incomplète

24:43

Aujourd'hui, je ne suis toujours pas en vélo

24:46

Je suis le être le plus heureux du planète

24:49

Quand ils me demandent quel est mon secret

24:51

Où j'ai connu un sujet similaire

24:54

Je raconte ce que j'ai vécu en me regardant dans l'espace

24:57

Quand ils me demandent quel est mon secret

25:01

Où j'ai connu un sujet similaire

25:03

Je raconte ce que j'ai vécu en me regardant dans l'espace

25:08

L'amour de ma vie, c'est moi

25:11

L'amour de ma vie, c'est moi

25:13

L'amour de ma vie, c'est moi

25:18

L'amour de ma vie, c'est moi

25:20

L'amour de ma vie, c'est moi

25:23

L'amour de ma vie, c'est moi

25:42

Je vais me faire foutre

25:45

Quand ils me demandent quel est mon secret

25:51

Où j'ai connu un sujet similaire

25:54

Je raconte ce que j'ai vécu en me regardant dans l'espace

26:04

L'amour de ma vie, c'est moi

26:17

L'amour de ma vie, c'est moi

26:23

L'amour de ma vie, c'est moi

26:33

des personnes en souffrance

26:35

Françoise, tu as évoqué un chiffre intéressant

26:37

Est-ce que tu peux nous le raconter ?

26:40

Oui, les données actuelles montrent

26:42

qu'un décès par suicide

26:45

impacte 6 à 14 personnes dans l'entourage

26:49

et va exposer en moyenne plus de 130 personnes

26:55

Donc vous voyez l'impact

26:57

Parce que moi, je me souviens très bien

26:59

que pour certains épidémiologistes

27:02

les décès par suicide, c'est 2%

27:05

de la totalité des décès par an

27:08

Donc c'est très faible

27:10

Mais quand on commence à regarder de près

27:13

autour d'un acte tel qu'un décès par suicide

27:18

vous voyez la propagation

27:21

C'est vraiment de la déflagration

27:24

qui peut y avoir dans l'entourage

27:27

proche, mais aussi peut-être plus éloigné

27:31

Un milieu professionnel va être impacté

27:34

par un des collaborateurs qui se suicide

27:40

Un milieu de vie

27:43

On travaille beaucoup à l'UNPS avec le milieu carcéral

27:47

Un suicide en prison

27:51

impacte énormément d'autres détenus

27:55

Impacte les professionnels qui sont là

27:58

Impacte notre société en général

28:02

Et je crois que depuis les dernières questions

28:08

qu'on vient de se poser

28:09

certes, il y a des professionnels

28:11

Mais il y a tout cet environnement

28:15

ce milieu de vie

28:16

dans lequel chacun de nous se trouve

28:20

et à différents moments de la vie

28:21

à différents moments même de la journée

28:24

Et là, c'est vraiment le milieu de vie

28:27

qui doit pouvoir être sensibilisé

28:30

Ne pas faire semblant de

28:32

j'ai rien vu

28:33

ou bien c'est banal

28:35

ça arrive, j'y peux rien

28:37

Non, non, non

28:38

Chacun de nous peut être attentif

28:40

Chacun de nous, comme dit Mathieu

28:42

on écoute

28:44

Mathieu, tu voudrais rajouter quelque chose ?

28:47

Écouter et j'ai envie de poser la question

28:50

Parce qu'il faut accepter l'idée

28:54

qu'on a beaucoup d'incertitudes

28:56

Le suicide reste profondément une énigme

28:58

C'est extrêmement compliqué de savoir pourquoi

29:01

On a des chiffres

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On sait que les dépressifs

29:05

les veuves, les personnes isolées

29:06

se suicident le plus

29:07

Mais heureusement, la plupart des personnes dépressives

29:10

la plupart des veuves ou des gens célibataires

29:12

où on se trouve sur le travail

29:13

ou on a vu dans la France dans les comms

29:14

ne se suicident pas

29:15

Donc c'est compliqué

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Il y a une part d'énigme

29:17

Un suicide, c'est une conjonction très complexe

29:19

C'est pour ça que c'est difficile

29:20

On n'a pas de prédiction claire

29:23

Donc si quelqu'un évoque ça

29:25

Il y a écouter et oser poser la question

29:28

Et il y a un tabou

29:28

Parce qu'on a peur

29:30

On se demande que si je demande à quelqu'un

29:32

Qu'est-ce que tu y penses ?

29:34

On tourne autour du pot

29:35

On a peur de prononcer le mot suicide

29:37

Et on dit j'ai prononcé le mot suicide

29:38

et je vais donner envie à la personne de se tuer

29:41

Et ça, c'est à bien savoir qu'on a mis en place

29:43

Non, au contraire

29:44

On a parlé de la façade tout à l'heure

29:46

Si on ose poser la question

29:47

Ouf, quelqu'un a compris que ça n'allait pas bien

29:50

Quelqu'un ose franchir un petit peu cette façade

29:54

Et c'est soulageant qu'on pose la question

29:57

Après, en tant que médecin généraliste